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Il y avait dans la côte un pauvre diable vagabondant avec son bâton, tout au milieu des diligences. Un amas de guenilles lui recouvrait les épaules, et un vieux castor défoncé, s'arrondissant en cuvette, lui cachait la figure; mais, quand il le retirait, il découvrait, à la place des paupières, deux orbites béantes tout ensanglantées. La chair s'effiloquait par lambeaux rouges; et il en coulait des liquides qui se figeaient en gales vertes jusqu'au nez, dont les narines noires reniflaient convulsivement. Pour vous parier, il se renversait la tête avec un rire idiot; - alors ses prunelles bleuâtres, roulant d'un mouvement continu, allaient se cogner, vers les tempes, sur le bord de la plaie vive.

Il chantait une petite chanson en suivant les voitures:

Souvent la chaleur d'un beau jour

Fait rêver fillette à l'amour.

Et il y avait dans tout le reste des oiseaux, du soleil et du feuillage.

Quelquefois, il apparaissait tout à coup derrière Emma, tête nue. Elle se retirait avec un cri. Hivert venait le plaisanter. Il l'engageait à prendre une baraque à la foire Saint-Romain, ou bien lui demandait, en riant, comment se portait sa bonne amie.

Souvent, on était en marche, lorsque son chapeau, d'un mouvement brusque entrait dans la diligence par le vasistas 93, tandis qu'il se cramponnait, de l'autre bras, sur le marchepied, entre l'éclaboussure des roues. Sa voix, faible d'abord et vagissante, devenait aiguë. Elle se traînait dans la nuit, comme l'indistincte lamentation d'une vague détresse; et, à travers la sonnerie des grelots, le murmure des arbres et le ronflement de la boîte creuse, elle avait quelque chose de lointain qui bouleversait Emma. Cela lui descendait au fond de l'âme comme un tourbillon dans un abîme, et l'emportait parmi les espaces d'une mélancolie sans bornes. Mais Hivert, qui s'apercevait d'un contrepoids, allongeait à l'aveugle de grands coups avec son fouet. La mèche le cinglait sur ses plaies, et il tombait dans la boue en poussant un hurlement.

Puis les voyageurs de l'hirondelle finissaient par s'endormir, les uns la bouche ouverte, les autres le menton baissé, s'appuyant sur l'épaule de leur voisin, ou bien le bras passé dans la courroie, tout en oscillant régulièrement au branle de la voiture; et le reflet de la lanterne qui se balançait en dehors, sur la croupe des limoniers, pénétrant dans l'intérieur par les rideaux de calicot chocolat, posait des ombres sanguinolentes sur tous ces individus immobiles. Emma, ivre de tristesse, grelottait sous ses vêtements; et se sentait de plus en plus froid aux pieds, avec la mort dans l'âme.

1 à quel moment du roman sommes-nous ?

2 que s'est-il passé auparavant ?

3 quand retrouverons nous le personnage de l'aveugle dans le roman ?

4 son portrait est particulièrement noir, dans le premier paragraphe. Essayez de réécrire ce passage en atténuant la noirceur de ce portrait, par des termes plus doux, plus allusifs, dans un style plus elliptique.

5 quel rapport pouvez-vous établir entre le passage souligné et l'apparition de l'aveugle ?

6 quel sentiment peut alors peser sur les passagers ?

7 en considérant sa dernière apparition dans le roman, quel rôle allégorique pourrait jouer le personnage de l'aveugle ?

8 n'approche-t-on pas, avec cette apparition d'un autre registre que de celui du roman réaliste ?

9 à quel personnage d'un roman de Victor Hugo, l'aveugle peut-il nous faire penser ?