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Günter GRASS, dans Le TAMBOUR page 137 au Seuil.

chapitre : Menu de Vendredi Saint

" Elle sentait le savon et les médicaments fatigants. Il arrivait souvent que je cédais au sommeil tandis qu’elle auscultait mon corps petit que l’on croyait malade : sommeil léger, né du drapé d’étoffes blanches, sommeil enveloppé de carbol, sommeil sans rêve ; sauf peut-être que, grosso modo, sa broche s’élargissait en je ne sais quoi : mer de drapeaux, couchant sur les Alpes, champ de coquelicots prêt à la révolte ; contre qui, je le sais : contre des Peaux-Rouges, des cerises, des saignements de nez, contre les crêtes des coqs, les globules rouges du sang. La broche se recueillait jusqu’à ce que le rouge ayant accaparé la vue servît d’arrière plan à une passion qui, aujourd’hui comme à cette époque, me paraît certes naturelle mais qui pourtant ne saurait être dénommée, parce que le petit mot de rouge ne dit pas grand chose, et le saignement de nez n’y fait rien et l’étoffe à drapeaux change de couleur ; et si pourtant je dis seulement rouge, rouge ne veut, tourne l’envers de son manteau : noir, voici la sorcière, noir ; terreur jaune, illusion bleue, bleu je n’y crois pas, bleu ne ment pas, ne tourne pas au vert ; vert le cercueil où je broute, vert me couvre, vert je suis, au blanc je tourne ; je reçois le sacrement du noir, noir m’effraie en jaune, jaune me trompe en bleu, bleu je n’y crois pas vert, vert s’épanouit en rouge, rouge était la broche de soeur Inge, une croix rouge elle portait, soyons précis, au col lavable de son costume d’infirmière. "